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Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/250

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amours de Calixte et de Mélibée, comment il l’avait obtenue, comment tu l’accompagnais chaque nuit, et beaucoup d’autres choses que je ne saurais te redire. Prends garde, ami : ne pas garder un secret, c’est le propre des femmes, surtout de celles sans éducation, et des enfants. Prends garde, car il peut t’arriver malheur ; Dieu t’a donné pour cela deux oreilles, deux yeux et rien qu’une langue, pour te faire comprendre que tu ne dois dire tout au plus que la moitié de ce que tu verras et de ce que tu entendras121. Ton ami ne te gardera pas le secret de ce que tu lui confieras, si tu ne sais pas le garder toi-même. Quand tu devras accompagner ton maître Calixte chez cette dame, ne fais pas de bruit, tâche que la terre ne te sente ; quelqu’un m’a dit que tu allais criant et riant comme un fou.

Sosie. Oh ! qu’elles ont peu d’esprit et de raison les personnes qui te donnent de telles nouvelles, ma bien-aimée ! Qui t’a dit l’avoir entendu de ma bouche n’a pas dit vrai. Ceux qui m’ont vu aller la nuit, au clair de la lune, faire boire mes chevaux, riant et chantant pour oublier la fatigue et chasser l’ennui, et cela avant dix heures, ont eu tort de penser ce qu’ils ont dit ; ils font une certitude de leur soupçon et n’affirment que des conjectures. Mais Calixte n’est pas assez fou pour aller traiter son affaire à pareille heure ; il attend que tout te monde repose et que tous soient dans la douceur du premier sommeil ; il n’y va pas non plus chaque nuit, car cette affaire n’a pas besoin de visites quotidiennes. Si tu veux, amie, que je te prouve leur fausseté d’une manière évidente, car on dit qu’on attrape plutôt un menteur qu’un boiteux, en un mois nous n’y avons pas été huit fois, et ces bavards te disent que c’est chaque nuit !

Areusa. Alors, sur ma vie, mon amour, pour que je puisse leur en faire le reproche, pour que je les attire dans le piège de leur faux témoignage, dis-moi quels jours vous êtes convenus de sortir, et s’ils se trompent,