Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/253

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qu’il soit louable de venir de vêpres pour voir cette ignoble figure ?

Élicie. Reviens, mon amour, ne t’en va pas, sinon tu laisseras dans mes mains la moitié de ton manteau.

Centurion. Retenez-la, pour Dieu ! madame, retenez-la, qu’elle ne vous échappe pas.

Élicie. Ce que tu me dis m’étonne, cousine ; quel est l’homme, quelque fou, quelque désagréable qu’il soit, qui ne soit joyeux d’être visité, surtout par des femmes ? Approchez ici, seigneur Centurion ; sur mon âme ! il faut qu’elle vous embrasse, je payerai une collation.

Areusa. Puissé-je le voir au pouvoir de la justice, mourir de la main de ses ennemis, plutôt que de lui donner une telle satisfaction ! C’est bien, il a rompu avec moi pour le reste de sa vie. Qu’ai-je donc fait de mal pour être forcée de voir et d’embrasser un si méchant ennemi ? Lorsque je lui ai demandé l’autre jour d’aller à une journée d’ici, il s’agissait de ma vie ; pourquoi n’a-t-il pas voulu ?

Centurion. Ordonne-moi, ma reine, une chose que je sache faire, une chose qui soit de mon métier, un défi contre trois hommes, et plus s’il s’en présente : je ne reculerai pas par amour pour toi. Tuer un homme, couper une jambe ou un bras, balafrer la figure de quelque femme qui voudra s’égaler à toi, de telles choses seront faites avant d’être commandées. Ne me demande pas de faire du chemin ni de te donner de l’argent, car tu sais bien qu’il ne dure pas longtemps avec moi : je sauterais trois fois sans qu’il me tombe un maravédis. Personne ne donne ce qu’il n’a pas ; dans la maison où je vis, le pilon peut frapper partout sans rien rencontrer. Les meubles que j’ai, c’est le mobilier de la frontière, une cruche égueulée, une broche sans pointe ; le lit où je me couche est formé de cercles de boucliers, un morceau de cotte de mailles brisées pour matelas, un sac à dés