Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/255

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Centurion. C’est une petite proie, mon épée trouvera là peu de pâture. Elle aura plus gras cette nuit dans une partie qui est concertée.

Areusa. Ce que tu en fais, c’est pour t’excuser ; à d’autres chiens pareil os122 ; ces détours ne valent rien avec moi : je veux voir si dire et faire mangent chez toi à la même table.

Centurion. Si mon épée disait ce qu’elle fait, le temps lui manquerait pour parler. Qui peuple le plus les cimetières, si ce n’est elle ? Qui enrichit les chirurgiens de la contrée ? Qui donne sans cesse de la besogne aux armuriers ? Qui brise la cotte de mailles la plus fine ? Qui se joue des boucliers de Barcelone ? Qui coupe en morceaux les morions de Calatayud, si ce n’est elle ? Elle fend les casques d’Almazan comme s’ils étaient des melons. Il y a vingt ans qu’elle me nourrit ; grâce à elle, je suis redouté des hommes et chéri des femmes, sinon de toi. C’est à cause d’elle qu’on donna à mon aïeul le nom de Centurion, qu’on appela mon père Centurion et que je me nomme Centurion.

Élicie. Mais que fit à tout cela cette épée pour qu’on donnât ce nom à ton aïeul ? Dis-moi, fut-il, par hasard, à cause d’elle, capitaine de cent hommes ?

Centurion. Non, mais il fut le soutien de cent femmes.

Areusa. Peu nous importe le lignage et les vieux exploits ; si tu veux faire ce que je te dis, décide-toi sans détour, car nous voulons nous en aller.

Centurion. Je désire la nuit plus impatiemment pour te satisfaire que tu ne l’attends pour te voir vengée. Afin que tout se fasse mieux à ta volonté, choisis quel genre de supplice tu veux que je lui inflige ; je te montrerai ici un répertoire qui contient sept cent soixante-dix espèces de mort ; tu verras laquelle te plaît le plus.

Élicie. Areusa, par amour pour moi, ne mets pas