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Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/265

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Mélibée. Oh ! désolée que je suis ! Qu’est-ce que cela ? Quel peut être le cruel événement dont il parle ? Aide-moi à monter sur cette muraille, Lucrèce, que je puisse voir ce qui cause mes angoisses, sinon je ferai crouler sous mes cris de douleur la maison de mon père. Hélas ! mon bien, tout mon bonheur est parti en fumée, ma joie est perdue, ma gloire s’est évanouie !

Lucrèce. Tristan, que dis-tu, mon ami, pourquoi pleures-tu d’une telle manière ?

Tristan. Je pleure une grande perte, je pleure une grande douleur ; mon seigneur Calixte est tombé de l’échelle et s’est tué ; sa tête est en trois morceaux ; il est mort sans confession. Dis-le à sa triste maîtresse, qu’elle n’attende pas davantage son malheureux amant. Sosie, prends ses pieds, portons le corps de notre maître bien-aimé, afin que son honneur ne souffre pas d’insulte de ce qu’il est mort en cette place. Que les larmes viennent avec nous, que la solitude nous accompagne, que la désolation nous suive, que la tristesse nous revête, que le deuil et la bure nous recouvrent.

Mélibée. Ô la plus affligée des femmes ! un instant j’ai connu le plaisir, et aussitôt est venue la douleur.

Lucrèce. Madame, ne vous déchirez pas le visage, n’arrachez pas vos cheveux. Le bonheur il y a un moment, maintenant la tristesse ! Quelle étoile a donc si rapidement changé son cours ?… Quel peu de cœur est-ce que cela ? Levez-vous, pour Dieu, que votre père ne vous trouve pas en ce lieu ; que dirait-il ? Madame, madame, ne m’entendez-vous pas ? Ne vous meurtrissez pas, au nom de Dieu ! Prenez courage pour supporter la peine, puisque vous avez eu l’audace pour le plaisir.

Mélibée. Entends-tu ce que disent ces serviteurs ? Ils emportent mon bonheur, mort maintenant. Il n’est plus temps de vivre. Comment n’ai-je pas joui plus longtemps de ma félicité ? Comment ai-je fait si peu