Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1103

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national et des mœurs, nous préparent enfin de nouveaux fers que le peuple ne saurait apercevoir et dont il se trouvera chargé avant de les avoir prévus. Je vois l’Assemblée si excessivement corrompue, qu’il me parait nécessaire que toutes ses opérations soient fautives, ce qui n’est que trop prouvé chaque jour ; j’ai renoncé à suivre ses séances, elles me donnent la fièvre. Il n’y a pas, du côté gauche, un seul homme à caractère, qui unisse à un ardent amour du bien cette fermeté courageuse qui s’élève contre les orages, les brave et les fait tomber. Les meilleurs patriotes me semblent plus occupés de leur petite gloire que des grands intérêts de leur pays et, en vérité, ils sont tous des hommes médiocres, quant aux talents mêmes. Ce n’est pas l’esprit qui leur manque, c’est de l’âme : il n’y a qu’elle qui puisse élever un homme à ce généreux oubli de lui-même dans lequel il ne voit que le bien de tous et ne songe qu’à l’opérer, sans s’occuper des moyens de s’en assurer la gloire.

Mais avant de m’abandonner à vous raconter tout ce que je pense, je dois m’acquitter de ce que Lanthenas s’était chargé de vous écrire et que je lui ai promis de vous mander. Brissot, toujours dévoué, comme vous le connaissez, et auquel je ne désirerais que deux adjoints dont la plume valût la sienne pour conduire l’Assemblée avec la capitale, Brissot vous prie de rapporter, pour la Société des Amis des Noirs, plusieurs exemplaires de tout ce que la Société de Londres a publié depuis six mois, surtout les évidences et les précis[1] ; il demande si cette Société a reçu les adresses que celle d’ici lui a envoyées, par Philips, il y a plus de quinze jours ; enfin il est un troisième article à traiter verbalement entre vous et Clarkson ou autre de la Société, de la manière que vous saurez faire : c’est la nécessité des secours. Vous savez que la Société d’ici, forte de zèle et faible de moyens pécuniaires, ne peut trouver d’aide de ce genre que dans ta Société de Londres ; elle compte renouveler ses attaques pour la prochaine législature et ne rien négliger pour cela suivant ses facultés. Elle est actuellement dans un grand mouvement ; il s’agit du sort des gens de couleur.

Le Comité colonial a eu l’infamie de proposer un projet de décret dont l’un des objets était la formation dans les îles d’un congrès de blancs, auquel on laisserait à discuter le sort des gens de couleur. Petion s’est élevé avec indignation, et il a fallu combattre pour obtenir l’impression et l’ajournement de ce projet ; la Société s’est hâtée d’imprimer et de répandre des instructions, et

  1. Nous ne savons ce que signifie ici évidences.