Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1104

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elle a eu fort peu de temps ; la discussion s’est ouverte hier, elle a été vive ; on la continue aujourd’hui, et probablement il y aura une décision[1].

L’abbé Grégoire[2], que j’ai vu hier au soir, tremblait sur ce qu’elle pourrait être ; tous les noirs de l’Assemblée sont, comme de coutume, contre la raison et l’humanité ; ils sont, pour cet article, d’accord avec Barnave qui cependant a été entendu hier avec défaveur ; les Lameth ne disent mot, et ils ont leurs motifs pour soutenir Barnave, mais ils ne le font pas d’une manière officielle pour éviter de se compromettre, soin bien superflu.

Le Comité de constitution a osé proposer un décret sur le droit de pétition ; il consistait à ôter ce droit aux citoyens passifs, aux sociétés ou clubs, et aux corps administratifs, à exiger enfin que toute pétition fût signée de l’individu qui la présente, ou de tous les individus qui voudraient qu’elle fû faite en leur nom ; il y avait encore, dans ce décret, je ne sais quelle absurdité sur le droit d’affiche, car on a l’inconséquence de désigner par le nom de droit ce qu’on prétend restreindre ou anéantir par des lois. C’est l’impudent Chapelier qui a fait le rapport en conséquence ; il a été tellement astucieux, l’Assemblée est si mauvaise et le peuple est si ignorant, qu’on l’a applaudi de toutes parts… Je ne sais comment on peut être témoin de pareille scène et ne pas verser des larmes de sang… Deux ou trois bons députés se sont récriés ; Robespierre a obtenu seulement le renvoi au lendemain, après avoir vainement demandé la question préalable ; et, le lendemain, le projet a passé en plus grande partie ; on est venu à bout de l’échancrer, de l’affaiblir ; mais enfin il esl résulté une mauvaise loi[3]. Vous aurez vu, par les papiers, comment a été traitée l’affaire d’Avignon ; durant trois jours on a longuement discuté pour rendre un sot décret qu’on a été trop heureux d’annuler le lendemain par un tour d’adresse, et les choses ne sont pas plus avancées qu’avant l’examen de la question[4]. Cependant toutes les horreurs d’une guerre civile et religieuse désolent le Comtat ; les Avignonnais tombent dans un triste état : ils manquent

  1. Voir sur les séances des Jacobins, des 11 et 13 mai, où cette question fut débattue, Aulard, t. II, p. 412-415.
  2. Baptiste-Henri Grégoire (1750-1831), curé d’Émberménil en Lorraine, député du clergé de Nancy à la Constituante, évêque de Blois, etc. On connaît son rôle depuis. Il était un des membres les plus actifs de la Société des Amis des Noirs (Mém. de Brissot, t. III, p. 89).
  3. Décret des 10-18 mai 1791. — Voir plus loin lettre du 27 mai.
  4. Dans la séance du 5 mai, l’affaire d’Avignon était revenue en discussion, et les partisans de la réunion, rejetée la veille, avaient obtenu le renvoi aux comités réunis.