Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prises pour produire cet effet à Paris n’ont point été oubliées pour les départements ; des courriers sont partis dans la nuit du dimanche au lundi, afin de représenter partout les événements du 17 comme l’opération du salut public, tandis que c’est une véritable contre-révolution faite par les citoyens armés sous la direction de l’Assemblée même. Je n’en voudrais pour preuve que le triomphe des aristocrates qui sentent dans tout cela le doigt royal, et qui ne peuvent dissimuler leur joie. Jugez de quel œil je puis considérer nos imbéciles bourgeois, se félicitant d’être échappés au pillage de prétendus brigands, et la morgue ridicule de nos gardes nationales, si fières des éloges qu’on leur donne pour avoir déployé une grande force contre une poignée de personnes sans armes. Cependant l’intrigue et les haines continuent de diriger les soupçons : les prisons se remplissent, les gardes nationales s’applaudissent des captures qu’on les charge de faire, et le peuple bénit ces soins vigilants. Trois voitures viennent de passer ; Marat, un membre des plus connus du club des Cordeliers, quelques autres remarqués lors des 5 et 6 octobre 89 y étaient renfermés ; on les conduisait à je ne sais quelle prison, car l’Abbaye contient déjà un grand nombre d’habitants. « C’est bien fait ! disaient les regardants ; ce sont leurs écrits qui jetaient le trouble, ils étaient soudoyés par les méchants. ».

Encore un peu et vous entendrez dire que le courage à Robespierre à défendre les droits du peuple était payé par les puissances étrangères ; je veux dire que cela se débitera comme un fait constant, car cela se dit déjà. Ce n’est pas, assurément, que je compare l’énergie de ce digne homme aux excès qu’on peut reprocher à Marat ; mais il me semble qu’on se dispose à les juger dans le même esprit et avec la même injustice. Je ne sais si vos montagnes offrent un asile sûr, où la liberté puisse se conserver pour en sortir un jour plus glorieuse ; je le souhaite pour le bien de la France, et je n’attends plus rien de cette capitale corrompue où le feu des viles passions consume et détruit les semences les plus heureuses.

Notre ami L. [Lanthenas] pense que la coalition des Sociétés des Amis de la Constitution des divers départements pourrait former encore un rempart salutaire ; mais je ne vois pas bien quel serait votre centre. Au reste, tâchez de vous unir pour la demande d’une nouvelle législature ; cet objet ne peut manquer de plaire à tout le monde, et c’est le seul port qui nous reste. Entretenez correspondance, particulièrement avec la société de Saint-Claude, département du Jura, et celle de Marseille, dont le patriotisme et la vigueur les rendent supérieures à beaucoup d’autres.