L’ami L[anthenas] me remet dans l’instant le billet dont vous l’avez chargé ; je ne veux pas me coucher avant d’y avoir répondu.
Vous vous trompez étrangement, mon ami : j’ai voulu laisser à Mme Gch.[2] de vous annoncer elle-même son départ ; je dirai plus, j’ai cru que je le devais, et lorsque j’ai vu que vous ne me disiez rien aujourd’hui, j’en ai conclu qu’elle ne vous avait encore rien dit ; j’ai imaginé alors que j’aurais demain au soir le plaisir de la surprise, qu’elle-même avait eu le dessein de la ménager ; je me suis fait une image délicieuse de ce que nous aurions à sentir, à partager et à exprimer demain au soir, et c’est lorsque mon cœur se nourrit des plus douces affections que vous le supposez manquant à la confiance sans laquelle il n’est point d amitié.
Je ne vous reprocherai pas votre erreur, elle est à mes yeux le fruit d’un sentiment trop vif qui ne vous a pas permis de bien juger, et ce tort, une fois reconnu, devient presque un mérite. Laissez donc là votre très mauvaise résolution ; venez ainsi que vous me l’avez promis, j’ose dire que vous me le devez, et j’ajouterais que je l’exige, si je ne préférais le devoir, à mon tour, à votre libre volonté.
- ↑ Collection Alfred Morrison. — Madame Roland ayant quitté Paris le 3 septembre 1791, cette lettre est nécessairement du 2.
- ↑ Ces initiales Gch., Grdch, et plus loin Grd. Chp. désignent Sophie Grandchamp, cette amie de Bosc qu’avait liée avec Madame Rolan et qui a écrit sur elle des Souvenirs si intéressants, que nous avons publiés dans la Révolution française de juillet et août 1899. Nous ne pouvons que renvoyer à ce travail. Ajoutons seulement que Mme Grandchamp était alors en rapports suivis avec tout le groupe de Brissot. Lanthenas écrivait à Bancal (ms. 9534, fol. 212-213), dans une lettre non datée, mais qui doit être d’avril 1790 : « Nous avons aujourd’hui un congrès de Creuzet [Creuzé-Latouche], Garran, Warville [Brissot], D. [Dantic, c-à-d. Bosc], Mme G…, Mme Wille [Mme Brissot] et Mlle Dupont [une des belles sœurs de Brissot] »