Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1300

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aucun motif de mon arrestation[1]. Ils émanent d’un Comité révolutionnaire, et des commissaires de la commune qui accompagnaient ceux du Comité m’en ont exhibé du Conseil général, qui n’en contiennent également aucun.] Ainsi, je suis présumée coupable aux yeux du public ; j’ai été traduite dans les prisons avec éclat, au milieu d’une force armée imposante, d’un peuple abusé, dont quelques individus m’en voyaient hautement à l’échafaud, sans que l’on ait pu indiquer à personne ni m’annoncer à moi-même d’après quoi j’étais présumée telle et traitée en conséquence. Ce n’est pas tout : le porteur des ordres de la commune[2] ne s’en est prévalu qu’auprès de moi, et pour me faire signer son procès-verbal ; en quittant mon appartement, j’ai été remise aux commissaires du Comité révolutionnaire ; ce sont ceux qui m’ont amenée à l’Abbaye ; ce n’est que sur leur mandat que j’y suis entrée. Je joins ici copie certifiée de ce mandat, signé d’un seul individu sans caractère. Les scellés ont été apposés partout chez moi ; durant leur apposition, qui a duré de trois à sept heures du matin, la foule des citoyens remplissait mon appartement, et s’il s’était trouvé dans leur nombre quelque malveillant avec le dessein de placer furtivement de coupables indices dans une bibliothèque ouverte de toutes parts, il en aurait eu la facilité.

Déjà, hier, le même Comité avait voulu faire mettre en arrestation l’ex-ministre que les lois ne rendent comptable qu’à vous des faits de son administration, et qui ne cesse d’en solliciter de vous le jugement.

Roland avait protesté contre l’ordre, et ceux qui l’avaient apporté s’étaient retirés[3] ; il est sorti lui-même de sa maison pour éviter un crime à l’erreur, dans le temps où je m’étais rendue à la Convention pour l’instruire de ces tentatives ; mais je fis inutilement remettre à son président une lettre qui n’a pas été lue. J’allais réclamer justice et protection ; je viens les réclamer encore avec de nouveaux droits, puisque je suis opprimée. Je demande que la Convention

  1. Sur les circonstances de l’arrestation de Madame Roland, voir ses Mémoires, t. I, page 9-23. Il y eut, en effet, deux ordres d’arrestation, l’un émanant du Comité révolutionnaire central du 31 mai, et dont M. Faugère a publié le texte (t. I, p. 351) ; l’autre, délivré dans la nuit du 31 mai au 1er juin par le Conseil général de la commune de Paris (Tourneux, Procès-verbaux, p. 150).
  2. Il s’appelait Nicoud (Mém., I, 22) ; voir Catalogue Charavay de 1862, p. 47, « Nicoud, membre du conseil de la commune », et p. 180, « Nicoud, commissaire de la commune », les deux pièces sous la date du 4 septembre 1792. Il ne figure cependant ni dans l’Almanach national de 1793, ni dans celui de l’an ii (1793-1794).
  3. Sur l’arrestation manquée et l’évasion de Roland, voir Mémoires, I, 9-13.