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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1332

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es encore et avec tes soins persévérants que par les actes d’un guerrier. Je ne te dirai pas que l’idée de dangers nouveaux, prochains et multipliés, contriste mon cœur et fait évanouir pour moi toute espérance ; si tu devais les courir, je serais la première à te féliciter de les braver, car enfin je sais aussi comme on échappe au malheur, ou comme on vient à bout de le surmonter et d’y mettre un terme. Je n’ai qu’un mot à dire ; si tous tes collègues, après une mûre délibération, croient devoir prendre ce parti-là, tu n’auras point de raison d’en choisir un autre ; mais j’estime que tu ne dois pas leur en donner l’exemple et qu’il est plus conforme aux principes de rester au poste où vous êtes. Je ne veux point en exprimer davantage ; j’ai hâte de faire partir cette lettre ; il y a toujours tant de longueur avant que chacune parvienne à sa destination !

Adieu, mon ami, mon bien-aimé ; non, ce n’est point là un dernier adieu, nous ne sommes point séparés à jamais, ou la destinée abrégeait beaucoup le fil de mes jours. Ah ! prends garde à ne pas tout perdre par une ardeur inconsidérée !


Le 7, au soir.

Douce occupation, communication touchante du cœur et de la pensée, abandon charmant, libre expression des sentiments inaltérables et de l’idée fugitive, remplissez mes heures solitaires ! Vous embellissez le plus triste séjour, vous faites régner au fond des cachots un bonheur après lequel soupire quelquefois l’habitant des palais.

L’asile ordinaire du crime est devenu l’abri de l’innocence et de l’amour ; purifié par leur présence, il n’offre plus dans l’étroite enceinte qui les renferme que l’image de la paix, les instruments de l’étude, les souvenirs affectueux d’une âme aimante, d’une conscience pure, la résignation du courage et l’espoir de la vertu. Ô toi ! si cher et si digne de l’être, tempère l’impatience qui te fait frémir en songeant aux fers dont on m’a chargée ; ne vois-tu pas les biens que je leur dois ? Tu veux que, plus tranquille sur tes propres dangers, j’approuve la préférence que tu leur donnes sur la vie moins exposée de législateur ; ah ! sans doute, il convient mieux à l’énergie de ton caractère, à ta bouillante ardeur pour le renversement de la tyrannie et le salut de notre patrie déchirée, de travailler généreusement à combattre l’une et servir l’autre par les moyens réunis de la force et de la sagesse, que de lutter péniblement contre le crime dans une Assemblée incapable de la (sic) confondre ; juge donc avec la même impartialité des avantages d’une situation qui me laisse entièrement à moi sur celle où des obligations saintes et terribles contraignaient mes facultés et dé-