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Ce mouvement de jalousie fit rire et donna lieu à la plaisanterie suivante ; elle n’a pas été envoyée par circonstance[1].

Le malheur rapproche, il unit, plus encore peut-être que le plaisir ; que serait-ce si l’un et l’autre servaient à lier deux êtres ?

Assurément, vous avez fait, en bon juge et prisonnier rêveur, cette réflexion philosophique. Mais la réflexion n’est jamais bonne aux maris ; c’est la thèse que j’entreprendrais de soutenir, si la fantaisie de raisonner pouvait s’établir dans le cerveau d’une femme et l’enceinte d’une prison. Toute nécessaire qu’elle fût, ici et là, je ne prétends point faire des miracles ; ainsi. Monsieur, n’attendez pas de moi de syllogismes ; je veux seulement, en bonne âme, faire quelques observations pour la paix de la vôtre. Vous avez demandé, dans votre billet d’hier, si le général B… ne venait pas quelquefois dans le quartier des dames ? En vérité, Monsieur, pour un homme sage, vous vous êtes embarqué dans une question bien indiscrète. Voilà précisément la folie des maris, ils veulent savoir, tout savoir, demandent sans cesse la vérité, puis se mordent les pouces quand ils l’ont apprise. Comme si la Sainte Église ne nous avait pas fait connaître que la foi est la première des vertus ; comme si cette foi n’était pas essentiellement requise pour être digne du plus grave des sacrements ; comme si toutes les autorités recommandables, depuis le Roman de la Rose jusqu’à Jean La Fontaine, n’avaient pas démontré que, sur certain article, l’inquiétude est aussi gratuite que les précautions sont inutiles. Ne voilà-t-il pas que l’expression de la vôtre m’a rappelé toutes ces belles maximes et que j’ai formé d’abord le projet de vous les retracer, car, vous saurez, Monsieur, que je suis, ne vous déplaise, prêcheuse de mon métier. Chacun a sa vocation, il est rare d’y échapper ; le ciel a voulu que les tyrans fussent lâches et cruels, le commun des hommes aveugle et stupide, les véritables gens de bien dédaigneux de la vie, les maris

    comparut devant le tribunal révolutionnaire les 29 et 30 décembre et fut exécuté le lendemain (Wallon, II, 302-304). M. Wallon dit qu’il avait été emprisonné à l’Abbaye ; on voit ici qu’en septembre il était à Sainte-Pélagie.

  1. Ces lignes d’introduction sont de Madame Roland.