Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

36

[À ROLAND, À PARIS[1].]
6 janvier 1782, — d’Amiens.

J’ai reçu ce matin, mon bon ami, avec l’empressement et la sensibilité que tu me connais pour tout ce qui vient de toi, la lettre où sont renfermées tes consultations pour notre petite ; son état, heureusement, me permet de ne pas faire usage de toutes en ce moment, mais je les crois très utiles ; je les conserverai avec soin et je vais employer l’expédient que tu m’indiques pour lui faire prendre du lait. Je le trouve excellent : il m’arrive d’autant plus à propos, que j’étais toujours tourmentée par la crainte qu’elle n’avalât beaucoup de vents avec notre suçon de toile, meilleur pour elle cependant que la cuiller qu’elle rebute, et propre à lui conserver l’aptitude à prendre le sein. Aussi se jette-t-elle dessus celui-ci, lorsque je le lui présente ; mais elle y trouve à peine de quoi humecter le bout de sa langue, et je ne puis l’y laisser qu’un instant pour qu’elle ne s’impatiente ou ne se fatigue pas.

Son dévoiement va toujours en diminuant : voilà trois nuit qu’elle passe paisiblement, et ses excréments ne sont plus verts ; elle est enfin beaucoup mieux. Je crois effectivement que ce ne sont pas les dents qui lui ont causé ce mal-être, et j’imagine en avoir trouvé la cause : elle a pris au commencement de son sevrage de mauvais lait de vache ; l’horrible Joséphine, que je hais franchement, nous en imposait en disant quelle voyait traire de l’animal celui qu’elle apportait ; je te conterai cette fraude ; nous avons substitué un meilleur lait, qui sans doute aura fait révolution en chassant l’humeur produite par le précédent.

Nous avons joué ces derniers soirs en mettant ce pauvre enfant, débarrassé de ses langes, sur une couverture étendue par terre à quelque

  1. Ms. 6238, fol. 184-186.