Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/944

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patriotes, tel faible qu’en soit le parti à Lyon, commence à craindre que Bt [Blot] ne soit de ces impartiaux dont il faut se défier. Sans doute, ce sont bien moins les considérations d’intérêt, auxquelles on échappe difficilement dans l’urgence de certains cas, que le besoin de son cœur de ne déplaire à personne, qui dirige et modifie ses actions ; mais trop prompt à s’enflammer d’une part, et de l’autre trop peu capable de suivre avec continuité de la même vigueur un parti pris dans l’enthousiasme, il est exposé à des alternatives qui peuvent lui faire le plus grand tort et finiront par lui rendre les deux partis ennemis. Dite-lui que, quoiqu’il nous boude, nous ne l’avertirons pas moins de ce qui peut lui être utile. S’il a trouvé que des amis de notre force ne convenaient pas à son allure, il n’a pas bien fait pour cela de tant relâcher le lien ; il aurait dû sentir que des âmes de notre trempe sont précieuses au sage qui sait mettre à profit leur franchise et leur énergie.

Il a dû me trouver vive et rèche, une fois que j’ai cru qu’il avait molli. Il est vrai qu’en fait de principes je ne sais pas composer et que j’ai l’habitude, lorsque je pense mal de mes amis, d’aller leur en faire la confidence sans ménagements : je garde ceux-ci pour les tiers indifférents. Mais je suis aussi prompte à adoucir l’effet de mes fortes expressions qu’à les mettre en usage : il a dû le voir aussi.

Nous avons également senti et su qu’il avait eu la faiblesse de regarder sa liaison avec mon mari comme pouvant lui nuire dans l’esprit de certaines gens. Sur cet article, je ne me permettrai pas de dire ce qui m’en semble ; il me touche de si près, et je suis d’un caractère si parfaitement opposé à ce genre de faiblesse, qu’il me serait difficile de le traiter modérément.

Je sais qu’avec bien d’autres il reproche à mon mari cette rigidité qui ne se prête jamais aux passions d’autrui, cette âpreté à combattre les abus et les fripons, sans égard aux préjugés ni même toujours aux circonstances, cette austère et inflexible vertu qui veut le bien et tend puissamment à l’opérer, sans calcul d’aucun intérêt, et sans choix dans les formes, pourvu qu’elles soient justes et efficaces.

Mais toutes ces choses très vraies, qui peuvent devenir des défauts