Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/965

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naisse bien pour l’un et l’autre, je vous en aime encore davantage de ce moment. J’étais chez Champagneux[1] jeudi lorsqu’on lut les premières nouvelles du décret sollicité par Malouet[2] ; je ne vis personne qui s’en indignât comme moi et qui parût voir jusqu’où pouvait s’étendre cet attentat.

Je vous ai écrit d’ici et de Lyon ; j’ai écrit à l’ami Lanthenas de Villefranche, et je vous ai fait part de tout ce que j’ai pu découvrir, apprendre ou pressentir.

Il nous arrive, à l’instant, des nouvelles de ce digne ami ; elles nous apprennent les dispositions de Blot, dont aucune ne m’étonne. Je vais en causer avec Lanthenas et vous verrez ce que j’en pense.

Je vous dirai seulement, pour répondre à votre observation particulière, que les convenances morales m’ont toujours paru les plus difficiles à rencontrer dans une entreprise comme celle dont il était question pour vous tous[3].

Ce texte fournira à nos conversations, et je ne veux pas entreprendre de le développer par écrit.

Quant à nous personnellement, je vous avouerai que je regarde depuis longtemps comme non avenu notre acte de société avec Blot et Champagneux. La lenteur de celui-ci m’a d’abord semblé le premier obstacle à l’exécution, car pour tout il est un moment à saisir, passé lequel on n’en trouve plus d’aussi favorable ; ensuite la chaleur volcanique et momentanée de Blot, d’où résultent l’incertitude et les vacillations, même les inconséquences, m’a fait apercevoir des inconvénients plus grands encore, des difficultés moins solubles.

Mon voyage à Lyon, ce que j’ai vu de l’état des choses et toutes nos réflexions me font engager notre ami à se tenir paisiblement ici jusque après la Saint-Martin, de manière que les élections de cette époque se fassent sans sa présence. Il est probable qu’il sortira de la notabilité ; à l’est également que le sort de sa place sera déterminé alors, et, dans ce cas, j’opine pour abandonner Lyon, où un seul homme de bien se consume en vains efforts sans influer sur

  1. Champagneux demeurait place de la Baleine.
  2. Dans la séance de l’Assemblée nationale du 31 juillet, Malouet avait dénoncé « une feuille intitulée : C’en est fait de nous, par M. Marat, et le dernier numéro des Révolutions de France et de Brabant, par Camille Desmoulins », et l’Assemblée avait ordonné au procureur du Roi au Châtelet « de poursuivre, comme criminels de lèse-nation, tous auteurs, imprimeurs et colporteurs d’écrits excitant les peuples, à l’insurection, etc… ». Voir Révolutions de France et de Brabant, n° 37 et 38.
  3. Le projet, déjà mentionné, d’acheter en commun des biens nationaux.