Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/999

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écrit d’ici, et par mon bon ami qui a dû répondre de Lyon à votre première. Je prends votre seconde pour moi et je vous renvoie la balle ; peut-être nos voyageurs arriveront-ils avant que j’aie terminé mon expédition, car ils ne m’ont point donné signe de vie depuis leur départ, et j’en augure un très prochain retour.

Je suis pourtant un peu scandalisée de ce parfait silence, j’ai peine à y croire ; j’ai fait renverser les poche du commissionnaire, en songeant à la trouvaille faite la veille, au fond d’une besace qui va souvent à la ville, d’une lettre de Champagneux datée du mois de septembre ; mes recherches ont été vaines et je suis dans l’attente.

J’imagine que nos patriotes apostolisent de leur mieux ; je ne sais s’ils feront beaucoup de fruits. Je suis tout occupée de ramasser ceux de l’année : ces soins économiques ne me déplaisent pas, ils sont vraiment dans notre destination naturelle, et, malgré ce qu’il y a de pénible dans ces tracas champêtres, j’échangerais bien contre eux toute la science des hommes et toutes les écritoires des savants. La récolte ne sera pas fort abondante, mais elle aura un bon prix. Si vous voyiez comme nos pauvres vignerons, qui ont été courbés toute l’année sur leur pioche, paraissent satisfaits de recueillir cette modique subsistance achetée par tant de sueur, vous en seriez attendri. Quand verrons-nous les gouvernements tellement organisés que le sort de l’homme rustique soit accompagné de toute la félicité que lui méritent ses travaux et sa simplicité ! Il me semble que les législateurs ne se reportent pas assez souvent dans les campagnes ; embarrassés dans le mécanisme de l’administration, obsédés d’une foule de choses et de gens subsidiaires, ils perdent trop aisément de vue la base de l’édifice et la sévère économie qui peut seule l’assurer.

Le nouveau code militaire[1] me parait donner un terrible ascendant au pouvoir exécutif déjà gorgé de tant de millions ; avec de l’or à répandre et tant de grades à donner, tant de valets ou d’assassins à stipendier, qu’elles affreuses modifications ne pourra-t-il apporter à la plus belle constitution du monde ?

Vous avez bien jugé notre pauvre v. [vicaire] et son goût dominant ; nous avons découvert qu’il n’avait point donné au maître d’école la Déclaration des droits que j’avais copié pour lui êre remise ; nous avons muni celui-ci de deux exemplaires imprimés avec le commentaire, et j’ai fait la guerre à l’autre ;

  1. Le décret sur la discipline militaire, voté par l’Assemblée dans ses séances des 14, 15 et 18 septembre 1790.