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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/111

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LE CHANT DE LA RÉSURRECTION

déclamatoire et pathétique, que l’on connaît ordinairement, et qui est l’objet presque exclusif de l’admiration et des critiques, — le musicien de l’Eroica et de l’Ut mineur, de l’Appassionata et de la Septième Symphonie

Tout grand artiste, même le plus individualisé, est plus qu’un homme individuel. Il est plusieurs personnalités associées, pas toujours harmonisées, réalisant côte à côte leur essence. En cela, d’ailleurs, l’artiste ne se distingue des autres hommes que par son pouvoir d’expression. Car chacun de nous-porte en soi des moi divers ; mais la vie de métier et de société où nous sommes enrôlés fait prédominer l’un de ces moi, et ne nous laisse pas le temps ni les moyens de cultiver les autres : comme des plantes enfermées en cave, à peine leur arrive-t-il, par occasions exceptionnelles, de glisser leurs pousses à la lumière. Mais l’artiste, par métier même, est tenu d’explorer et d’exprimer ces mondes, ces moi distincts et reliés, qui forment des archipels au sein de sa mer intérieure. Après que, par son œuvre, ils ont surgi à la surface, ils sont visibles à tous les yeux ; et cependant, peu d’yeux les voient. Un besoin de rationaliser et d’unifier tend à une vision simplifiée, qui fait son choix parmi ces moi, met en lumière le plus éclatant (non pas toujours le plus essentiel), et, jetant l’ombre sur les autres, appauvrit et fausse l’aspect réel de l’être complet, qui est l’accord de toutes ces voix. Plus l’artiste est célèbre, plus il y a de chances que son image soit mutilée : car presque toujours, il reste l’homme d’un Austerlitz, d’une victoire triomphale dont le soleil accapare tous les regards de l’avenir.

Beethoven est demeuré, dans la mémoire du siècle qui