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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/139

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LE CHANT DE LA RÉSURRECTION

pourtant là notre vraie tâche de l’intelligence : conquérir sur le subconscient ces trésors engloutis. C’est tout le travail de l’esprit humain, de faire entrer dans les ténèbres ou le demi-jour de la pensée, plus de lumière, toujours plus… Ce n’est point trahir « cette expression absolument illimitée », cet « infini », qui est, en fait, seulement, un « indéfini », que le ramener du royaume des ombres à celui du soleil. Je suis bien sûr que le créateur lui-même — (quand le créateur est un Beethoven) —• serait le premier à s’en réjouir ! Il n’avait point peur de la lumière, notre Beethoven ! Qu’il aspirait à lire en lui, à se connaître !…

Et j’y aspire, pour mieux l’aimer, pour l’aimer mieux. Car je ne suis pas de ceux qui croient que la connaissance tue l’amour. On aime mal, si on ne connaît. Et il n’est point juste de dire que l’expression d’un grand musicien soit « illimitée » (unbegrenzt). Tl n’est d’illimité en art que le flou, le vague, le confus. Rien de plus précis, de plus arrêté, que le dessin d’un maître comme Beethoven. Et comme, en sa maturité, il n’est plus rien en lui d’inutile, rien pour le remplissage de l’écriture, — comme la moindre inflexion de ligne sous sa plume répond à une inflexion du sentiment vrai et vivant, nous devons la lire et la vivre. Où y a-t-il place, en tout cela, pour le « Musikdrama », ou pour le roman ? Nous ne nous flattons point de découvrir l’objet qui a suscité le mouvement des émotions, traduites avec une souveraine perfection et précision, dans une Sonate de Beethoven. C’est ce mouvement seul des émotions, que nous essayons de traduire, à notre tour, dans la langue des mots intelligents. Ce n’est point là une tâche plus malaisée que de lire