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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/156

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BEETHOVEN

triste ; ils sont mis au service de l’architecte qui manifeste, en les ordonnant selon un rythme clair, gai et raisonné, sa joie de créer. On voit s’élever, d’étage en étage, la maison. — Ainsi que le dit Nagel[1], les amoureux du sentiment, tout pur et spontané, du jeune Beethoven, pourront reprocher au vieux Beethoven, comme au vieux Gœthe, d’avoir sacrifié l’élan des forces émotives aux jeux de la raison qui bâtit. Mais, à chaque saison ses fleurs et ses fruits ! C’est avec l’âge qu’on apprécie les fruits de l’âge, ce libre esprit qui joue avec ses lois, cet ordre joyeux. Je, jugerais donc erroné de chercher dans cette fugue un sens extra-musical, comme semble le faire H. v. Bülow, quand il dit avec exagération que « chez Beethoven, la forme de la fugue remplit le même rôle que, chez Wagner, les poèmes dramatiques ». Mais, il est sur que, néanmoins, la fugue, dans les sonates de Beethoven, et notamment dans celle-ci, n’est pas seulement un objet en soi, mais une expression objective[2] de la personnalité qui, volontairement ou non, la marque de son empreinte. — Et n’en est-il pas de même, pour les meilleures fugues de J.-S. Bach ? « La beauté de forme objective » n’est pas une beauté vide d’expression ; toute la question est que l’artiste soit assez maître du sentiment, pour que celui-ci s’impersonnalise, pour qu’il paraisse prendre une valeur indépendante du moment de l’âme qui passe,

  1. Wilibald Nagel : Beethoven und seine Klaviersonaten, 1905, t. II.
  2. « Nicht Zweck, dit Bülow, sondera letztes und höchstes Mittel der Ausdrucks-Steigerung. » — Mais il s’agit ici d’une expression généralisée du caractère, et non d’une peinture musicale des émotions.