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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/166

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BEETHOVEN

de ses préoccupations pour son neveu, de sa mauvaise santé qui fâcheusement influe sur son travail…

Mais quelques semaines — (peut-être, quelques jours) — après la date inscrite sur le manuscrit du Liederkreis[1], dans une lettre du 8 mai 1816 à Ries, tout à fait à la fin, adressant ses vœux à la femme de Ries, Beethoven se laisse entraîner à écrire :

— « … Malheureusement, je n’ai pas de femme. J’en ai seulement trouvé une, que je ne posséderai jamais[2] ».

Cet aveu, arraché par hasard[3], précise mieux que tout

  1. « 1816 im Monath April. »
  2. « Leider habe ich keine ; ich fand nur Eine, die ich wohl nie besitzen werde. »
  3. On n’a pas assez remarqué l’extrême discrétion gardée par Beethoven sur sa vie intérieure. Elle frappe chez un homme d’un tempérament aussi passionné, dont la musique ne pèche point par la réserve du sentiment… Mais sans doute pensait-il de la musique ce que m’en a confié un des plus grands musiciens d’aujourd’hui : — « En musique, on peut tout dire : on ne vous comprend pas !… » — Tout au plus, quelques notes de son journal intime en 1816-1817, une confidence arrachée, en septembre 1816, au cours d’un entretien avec Giannatasio del Rio, et que l’oreille de Fanny a retenue, révèlent-elles, par hasard, mais avec quelle intensité, combien la pensée de Beethoven était habitée d’un ou peut-être de plusieurs amours malheureux, et luttait contre leur hantise, en ces années. — Or, n’est-il pas digne d’attention et de respect qu’aucun de ceux qui l’ont approché, aucun de ceux qui ont, depuis, indiscrètement questionné ses papiers, n’ait réussi à lui arracher la moindre indication qui permette d’identifier la « ferne Geliebte », l’« unsterbliche Geliebte » ! Beethoven est mort, emportant son secret dans la tombe. On en sera toujours réduit à des présomptions. Les seuls faits que l’on puisse préciser, sont que cette grande passion remontait environ à 1811, que la fameuse lettre « à l’Immortelle Aimée » peut être fixée, avec une quasi-certitude, au mois de juillet 1812, que la crise d’amour eut de nouveaux accès