Aller au contenu

Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
BEETHOVEN

ses lieder. Et ce n’est point encore ici un cas exceptionnel, dans l’histoire musicale. Il se produit souvent ce fait que, chez un même artiste, l’évolution de plusieurs genres suive, d’un pas inégal, des routes divergentes. S’ils ne peuvent être totalement indépendants l’un de l’autre, puisque toutes les œuvres participent à la même vie, le même esprit, les mêmes besoins déterminent, dans l’un et dans l’autre genres, des courants fort différents. Le lied de Beethoven en offre l’exemple le plus frappant.

Après une première période, assez brève, d’imitation[1], où, comme il en est toujours, le jeune homme veut se prouver ses forces, en se mesurant sur leur terrain avec ses aînés, — où il cherche à s’approprier la manière du temps, en grappillant des textes chez tous les poètes de lieder à la mode, entre 1780 et 1790[2], — le jeune Beethoven, installé depuis peu à Vienne, commence à dégager, volontairement, sa personnalité. Il y est poussé par les heurts et par les réactions inévitables de sa nature de petit sauvage provincial, brusque, emporté, passionné, contre un milieu de culture mondaine et raffinée. C’est la première période pathétique des premiers trios, des premières sonates d’après 1795. Mais il s’en faut de beaucoup que ce pathétique s’exprime

  1. Et l’imitation se fait sentir, chez Beethoven, plus fortement dans les lieder de jeunesse que dans sa musique instrumentale du même temps. Car le lied est lié au texte ; ét Beethoven est lent à faire son choix, parmi les textes. Jusqu’aux environs de 1795, il les pêche, au hasard.
  2. Hölty, Matthisson, Bürger, Leasing, Gœthe, Gleim, Herder, Weisse.