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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/177

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LE CHANT DE LA RÉSURRECTION

dans le lied, avec la même fréquence et le même élan spontané que dans la musique instrumentale. La musique instrumentale est (on le sait) le moyen naturel d’expression de Beethoven, son langage direct, — quoique incomplet, (et cela, on ne le sait ou on ne le dit peut-être pas assez). Beethoven ne s’adressera, sauf exceptions, au lied — et, d’une façon générale, au mot — que pour compléter ce qu’il a à dire et qu’il ne peut dire clairement dans la musique instrumentale. Car c’est en quoi il se distingue de tous les grands musiciens de son temps et d’avant lui : son objet n’est jamais l’œuvre en soi[1], si grands que soient son sens de la beauté et son désir de la perfection ; son objet est d’exprimer son moi, moi tout entier, dans toute sa force et sa vérité : — et c’est en quoi il est Beethoven. En quoi il fascine, ou il repousse, — en quoi on l’aime, ou on le fuit : mais qui pourrait jamais le nier ?

Donc, il n’a guère besoin du mot, du lied, pour exprimer le plus intime de sa vie intérieure, le subconscient de ses passions. Les andante et les largo de ses sonates lui suffisent largement pour épancher les ombres et les lumières des profondeurs de l’âme océanique. Ce qui lui manque, c’est de pouvoir fixer, pour son esprit, et maintenir dans le plein-jour de la conscience, le sens concret des puissances qui s’agitent dans sa poitrine. Encore ne s’y décide-t-il qu’après avoir épuisé toutes les formes d’expression réci-

  1. Je ne puis m’accorder, sur ce point, avec M.-W. Riezler, dont les remarquables études sur Beethoven soutiennent la thèse de « la musique absolue ».