Aller au contenu

Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
174
BEETHOVEN

soi-même, que renfermait un pareil « parler en chantant », comme tant d’autres lieder de Beethoven, qui ont une valeur extra-musicale, — quelle que soit, d’ailleurs, — ou médiocre, ou profonde, — leur valeur proprement musicale.

Et il va de soi que nous ne tiendrons compte que de cette dernière, dans l’appréciation de l’œuvre d’art, tout en reconnaissant à l’autre valeur, extra-musicale, un intérêt de psychologie et d’histoire. Mais quand il advient que les deux valeurs sont réunies, l’œuvre en acquiert un plus haut prix.

Voyons donc ce que, d’abord, dans la jeune maturité de son art, dans la période qui va environ de 1802-1803 jusqu’aux environs de 1813, Beethoven demande au mot et aux poètes !

Il est facile à voir qu’il leur demande, pour sa musique, toute autre chose que ce qu’il apprécie en eux, d’une façon désintéressée, quand il les lit pour eux-mêmes. En poésie, son goût est sûr, son goût est grand[1]. Il a marqué ses préférences pour Homère et pour Platon, pour Shakespeare,

  1. Un jugement superficiel, fait de malveillance et de romantisme, traite Beethoven d’illettré. Walter Riezler en fait justice, dans son livre : — « Qui nomme Beethoven « ungebildet », a, dit-il, une étrange conception de la « Bildung » (p. 45). — Il s’élève même contre l’abus de ceux qui lui refusent la capacité de s’exprimer, oralement ou par écrit, alors que les manques de son expression tiennent surtout à ce qu’il n’avait point plaisir à écrire des lettres et qu’il faisait bon marché des règles scolaires. Mais Riezler prouve, par un exemple remarquable (la fameuse lettre de Teplitz à la petite Emilie), que, quand il voulait s’en donner la peine, Beethoven possédait une parfaite maîtrise de la langue.