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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/186

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BEETHOVEN

de suggestion, une large marge à remplir pour l’émotion musicale, — à laquelle les lignes oratoires de Schiller ne se prêtent pas. On vérifiera ce mot de « marge », en relisant Wonne der Wehmut. L’admirable sobriété de la Wehmut de Goethe s’enveloppe dans des voiles ; la musique de Beethoven les ouvre, sur les sanglots du cœur. Et ceci encore ne devait point plaire à Goethe. Mais quel cœur ayant aimé et souffert n’en serait reconnaissant à Beethoven ?

Que Beethoven se doute que son interprétation ne satisfait pas Goethe, je le crois. Et s’il ne l’a pas su d’abord, peut-être, en 1810, il le sait très certainement en 1823 — (le silence maussade de Goethe le lui aura appris) — quand il prie humblement Goethe de lui enseigner « la façon de mettre en musique ses poèmes ». C’est probablement, en partie, pour ce profond et secret malentendu, qu’il renoncera à les « composer ». Il ne peut écrire en musique aucun poème, sans cette condition préalable qu’il se reconnaisse en ce poème, — lui, ses aspirations, ses impressions, ses pensées[1] ; et du moment qu’il l’a élu, il faut que le poème devienne sien, sien tout entier ! Le poète qui l’a créé n’a plus qu’à suivre, il passe à l’arrière-plan. — On comprend qu’un Goethe ne s’en accommode point. Et le premier à le comprendre sera Beethoven. Il préférera s’adresser à des poètes de second ordre, ou de troisième ; il évalue très exactement leur niveau, mais il leur est reconnaissant[2] de lui fournir

  1. An die Hoffnung ; — Sehnsucht ; — Busslied ; — Abendlied, etc.
  2. Il fait remercier personnellement Mattliisson, Tiedge, Jetteles, Haugwitz.