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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/217

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LE CHANT DE LA RÉSURRECTION

Il cherche au moins à sortir de sa maison. C’est un pénible effort pour un homme sourd et méfiant, qu’assiège la misanthropie, et qui, dans ses périodes de néant, n’aspire plus à rien autre qu’à n’en plus sortir. Mais avec courage il lutte contre ce penchant mortel. À tout prix, il lui faut s’arracher à la solitude qui démoralise. Il s’écrit cet ordre :

— « Soir et matin être en société ! Cela ranime…[1] »

Mais cet ordre, il ne dépend pas de lui de l’exécuter. Où trouvera-t-il cette société ? Les vieux amis ne sont plus là — (la comtesse Erdödy en Croatie, Ries à Londres, Schuppanzigh en Russie, Zmeskall malade, Breuning brouillé depuis 1815, la maison Lichnowskv est fermée). — Et les amis nouveaux (ceux qui formeront le cercle des Cahiers de conversations) ne sont pas encore venus et éprouvés. Dans le désarroi de cette vie sans air et sans issue, on le voit qui bat des bras, cherchant une main, un point d’appui. Même on se demande si, à certains jours, il n’a pas à lutter contre « le démon de midi », la brûlure du désir, — qui ne le révolterait pas tant, s’il ne l’avait subie :

— « … Sinnlicher Genuss ohne Vereinigung der Seelen ist und bleibt viehisch : nach selbem hat man keine Spur einer edlen Empfindung, vielmehr Reue[2] ».

On comprend la passion désespérée, avec laquelle il étreint l’enfant adoptif. Absurdement, il veut l’enlever, il l’enlève

  1. Manuscrit Fischhoff, no 134.
  2. Manuscrit Fischhoff, 1817, no 135.

    « La jouissance sensuelle sans l’union des âmes est et demeure bestiale : après qu’on l’a eue, il ne reste aucune trace d’un sentiment noble, beaucoup plutôt un remords… »