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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/22

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BEETHOVEN

en la notant. C’est tout le travail secret du Moi créateur que nous épions, ainsi que ces ruches dont on observe, à travers une vitre, la fièvre ordonnée.

Cette observation nous mène bien au delà de l’analyse purement formelle de l’œuvre d’art. Elle nous autorise et nous oblige à considérer celle-ci comme l’expression de tout un ensemble de mouvements intérieurs, dont les actions et les réactions sont liées avec le Moi entier et le milieu qui le conditionne. L’un et l’autre ne sont jamais établis, une fois pour toutes. Ils sont tous deux en marche — πάντα ρεῖ — et l’extraordinaire confusion apparente de ces mouvements enchevêtrés obéit pourtant à des lois générales, qu’il faut tâcher de dégager.

Les musiciens ont tendance — (ainsi que font tous les professionnels de l’art) — à réduire ce champ de l’esprit, vaste et multiple, à celui de l’esthétique et de la technique de leur art. Ils se refusent à y faire place à l’histoire, particulière ou générale, celle des artistes ou celle de la société. Il leur paraît glorieux de constituer avec leur musique une autarchie — pour ne point dire un système cosmique à part — qui s’administre par ses seules lois. Ils excluent de leur analyse des formes musicales tous les éléments psychologiques et historiques, comme étrangers.

Mais avant même de revendiquer les droits de la vie, dans notre examen de l’œuvre de l’artiste, et l’importance de celui-ci, de son empreinte individuelle, de ses passions, des vicissitudes de son destin, sur la forme de ses travaux, il nous faut montrer l’erreur d’une vue superficielle qui attribue aux formes d’art une existence détachée de l’évo-