Mais, quelle surprise ! Beethoven inscrit, au-dessus : « Fuge », — et, à la suite : « Ende langsam ».
Un processus curieux de la création, dont nos études des grands artistes nous ont fait relever maints exemples, fait apparaître parfois dans leur subconscient, par fragments détachés, les éléments constitutifs d’une grande idée, d’un être futur. Ce sont les mots, le rythme, la tonalité, la mélodie, les harmonies d’une même œuvre à venir, dont l’intelligence de l’artiste n’embrasse pas encore le sens réel et la figure. Et cependant, ces tronçons aveugles surgissent et se cherchent, dans la nuit. Il leur faut, souvent, attendre de longues années, avant d’opérer, instantanément, leur fusion. D’autres fois, l’artiste tâtonne, toute une vie, avant de trouver l’enveloppe exacte où couler l’essence de la pensée qui le travaille. Je l’ai montré en étudiant Hændel[1].
- ↑ Avec son impérialisme de l’esprit, sa tranquille, son insolente
conscience des droits de sa force, Hændel va même jusqu’à s’approprier
l’enveloppe des autres, pour s’y couler, comme un bernardl’hermite.
Et malvenus seraient, après, à réclamer, les propriétaires
évincés ! Ils ont nourri de leur substance le corps géant des puissants
chœurs d’Israël. Hændel a, comme Molière et comme tant de maîtres
de ces temps, repris son bien, là où il le trouvait : (cf. mes analyses
des « Plagiats de Hændel », dans la revue musicale S. I. M., mai et
juillet 1910). — Beethoven, qui est, lui, un homme de notre temps,
est plus soucieux des droits de propriété, il ne s’habille point de l’étoiïe
des autres, il cherche toujours dans son propre fonds. Mais il ne se
lasse pas de le retourner, jusqu’à ce qu’il ait trouvé la forme adéquate
à son idée — à cette essence, à la fois obscure et précise, dont la raison
ne peut rendre compte, mais que l’instinct palpe et pénètre, dans un
mystérieux accouplement.
La principale différence entre le génie et la médiocrité des talents est précisément en cette quête obstinée par l’idée sans forme de son