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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/27

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LE CHANT DE LA RÉSURRECTION

allège de notre pesanteur humaine », et qu’elle nous « entraîne très loin des mots et des concepts qui, dans la vie quotidienne, nous menacent à chaque pas ».

Que Georges Auric soit bien certain que, ce « miracle » je le reconnais ! À l’aide des mots, ces bons serviteurs, que tout en employant il déprécie, et dont, mieux que quiconque, je sais l’insuffisance, je l’ai célébré, dans l’Ode à la Musique, qui ouvre la dernière partie de Jean-Christophe. Et je n’attribue pas à la seule musique le privilège de ce « miracle ». Aucune véritable œuvre d’art ne saurait en être privée. Qu’elle soit peinture, sculpture, architecture, ou œuvre de mots, elle n’est rien si elle n’éveille ces résonances profondes de l’esprit, qui l’illuminent et qui l’emportent libéré de la gaine du « siècle ». Autrement, comment expliquer la joie puissante qui nous inonde, au spectacle de tragédies qui devraient nous accabler par leur douleur ou leur horreur, comme Othello et Œdipe-Roi ? Quels que soient l’objet. et le sujet — (par le sujet, je veux dire l’âme) — qui conditionnent une symphonie ou une sonate de Beethoven, elles ne participent au génie que dans la mesure de ce rayonnement magique qu’elles irradient, — cette sorte de yoga sereine et dévorante de l’esprit. Mais cette yoga, dont l’analyse n’a pas été suffisamment faite jusqu’à aujourd’hui — (nous l’essaierons peut-être, un jour) — ne saurait épuiser le contenu de l’œuvre d’art. En admettant qu’elle soit la fin dernière de l’art — (et elle ne l’est que chez une élite, dont je me refuse à faire partie, de producteurs et — dirons-nous — de consommateurs) — elle n’en peut être la substance. Le créateur n’est, grâce à Dieu, jamais assez