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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/32

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BEETHOVEN

grand critique les discerne plus nettement que le grand créateur. Car nous ne connaissons pas le son de notre voix, comme l’entend l’oreille des autres hommes. Quand elle nous revient du dehors, enregistrée par le micro, elle nous apparaît une étrangère. C’est que nous l’écoutons dans notre gorge. Elle n’acquiert sa réalité objective que dans les autres qui nous écoutent, du dehors.

Beethoven avait, nous le montrerons, une puissante conscience subliminale, qui, dans le monde qu’éclaire le jour des paroles, demeurait bègue, avait difficulté à s’exprimer, — mais qui le menait avec une infaillible sûreté dans les galeries souterraines du monde des sons. Il le disait gauchement, dans une lettre du 15 juillet 1817 à Wilhelm Gerhard, de Leipzig, où il revendiquait contre les autres arts le domaine propre de la musique, « qui s’étend au loin dans les régions (intérieures) où la poésie même ne peut atteindre si facilement ! »[1]


    supérieures, qui l’entendent (à ce qu’il croit) et qui l’exaucent. Cette foi le mène, cette foi l’imprègne, il la porte partout avec lui. Nous retrouvons partout son odeur. Mais elle lui était alors si intime qu’il ne la percevait peut-être pas distinctement.

  1. « Die Beschreibung eines Bildes gehôrt zur Mahlerey, auch der Dichter kann sich hierin vor meiner Muse glücklich schätzen, dessen Gebiet hierin nicht so begränzt ist, als das meinige, so wie es wieder in andre Regionen weiter erstreckt und man unser Reich nicht so leicht erreichen kann. »

    (« Les descriptions d’une image (ou d’un tableau) appartiennent à la peinture ; le poète aussi peut en cela s’estimer favorisé sur la musique, car son domaine de ce côté n’est pas aussi borné que le mien ; mais en revanche, celui-ci s’étend plus loin dans d’autres régions, où l’on ne peut pas si facilement atteindre notre empire. »)