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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/42

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BEETHOVEN

seule coulée, comme un héros imaginaire d’un caractère inflexible, forgé d’un métal incorruptible. Il est, comme tous ceux qui vivent, même en héros, l’interminable suite des jours quotidiens, un champ de bataille entre plusieurs hommes de valeur inégale et, l’on pourrait dire, d’espèces différentes. Ce ne serait rien encore, s’il n’était aussi, comme nous tous, aux heures de fatigue et de trahison, pn accommodement, un compromis entre ces hommes. Puisqu’il leur faut vivre ensemble, il leur faut bien trouver un modus vivendi ! Il leur faut compter avec la vie, qui leur dit : — « Adapte-toi, ou meurs ! »… Adapte-toi, même toi qui te révoltes ! Adapte-toi aux autres et à toi, aux nécessités de l’existence, de l’heure du monde où tu es né, de la société où tu n’as pas demandé à entrer, et aux fatalités de ta propre nature, dont tu n’as pas choisi la lourde et chaotique hérédité ! … L’homme qui, parmi cette confusion humiliante dises éléments, poursuit tenace son chemin et, malgré tout, inscrit le plus profond, le plus sacré de son être, dans l’œuvre ou dans l’action qui lui survit, ne montre pas un moindre héroïsme, pour être moins pur que celui qu’on avait rêvé. Son héroïsme n’en a que plus de prix : car on sait ce qu’il a coûté.

Beethoven le savait : car il était loyal avec lui-même, jusque dans ses injustices, et, seul en face de soi, lui l’orgueilleux, plein d’humilité. Aux dix derniers ans de sa vie, il aimait à répéter, comme un roi Lear, cette pensée, — le fruit amer et compatissant de l expérience :

— « Chaque homme faute, mais chacun d’une façon différente. »