Aller au contenu

Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
BEETHOVEN

autrichienne et de la Sainte-Alliance, la victoire certaine des Républiques ; il célébrait dans sa musique la communion des peuples libres ; — et il avait un idéal pratique de petitbourgeois intellectuel, orgueilleux de tenir son rang, distinct de la plèbe, « des Pöbels », qu’il méprisait. — Il était anachronique à son milieu (tout grand homme l’est, puisqu’il le dépasse et le devance) ; mais sa surdité, sa mauvaise santé, les impedimenta domestiques dont il s’empêtrait, et la médiocrité de son entourage familier, ne lui permirent jamais de s’en évader par les voyages, comme un Wagner, ce fliegende Holländer, ou de le dominer, comme un Goethe. Il regimbait, en y restant pris au pied. C’est un « Captif » de Michel-Ange — celui qui lutte avec ses fers, ses mains liées derrière le dos, en défiant le ciel avec son mufle de taureau. Mais, moins heureux que le vieil ami de Vittoria Colorma, ce n’est que dans son art qu’il atteint à la libération et à l’harmonie. Sa vie n’est que le soubassement informe de la statue.

Il faut pourtant montrer sur quel pouding de terrains agglutinés repose cet art, ce Sur-moi, fait de la mêlée ou de l’alliage forcé de tant de moi hétérogènes.



Les générations d’aujourd’hui — du moins celles des pays vaincus d’Europe — ont plus de facilités qu’aucune de celles qui se sont succédé depuis un siècle, pour bien comprendre l’atmosphère où a vécu Beethoven, de sa