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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/48

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BEETHOVEN

Ses œuvres s’espaceront incroyablement* après cette année 1812, où il a, une dernière fois, touché la terre, comme Antée ; leur qualité tombe, à en juger par celles qui s’étalent avec fracas[1], comme cette désolante Bataille de Vittoria, qui marque l’ultime abdication où l’on n’eût jamais cru possible que s’abaissât le génie « ungebändigtes » (déchaîné) d’un Beethoven, la plus plate des productions sur commande… Et qu’il ne l’ait pas senti ! Qu’il en ait fait montre dans tant de concerts et d’  « Académies » ! Qu’il ait engagé, à son sujet, un procès furieux contre Maelzel, pour lui en disputer l’invention !…

C’est que l’argent entrait en jeu, et que l’argent était devenu pour Beethoven question vitale [2]. Cette question empoisonnait sa vie[3] ; elle l’engagea dans une manie de

1. Mais par-dessous, heureusement, se ramassait la vie intérieure. On verra plus loin ce travail obscur, dont à peine avait-il conscience, et qui s’exerçait presque malgré lui, sous l’impulsion du moi profond.

2. Surtout depuis qu’en 1811 l’Autriche avait déclaré la banqueroute d’État. Beethoven s’efforçait de placer ses fonds à l’étranger, de se faire payer en ducats hollandais. (Lettre du 28 février 1812 à Breitkopf.)

3. Elle empoisonnait aussi sa conversation. Fanny del Puo dit que l’argent était son « Steckenpferd » (son dada). — Karl de Bursy, qui s’entretient longuement avec lui, en juin-juillet 1816, dit qu’il parle beaucoup moins d’art que d’argent. « Fiirs Geld scheint Beethoven sehr importiert. » Il se dit volé par les éditeurs et par les rois. Il traite le roi de Prusse de « Lump », parce qu’il a payé un prix dérisoire, à un de ses concerts. « Tout le monde vous vole, en Autriche. Au reste, personne n’a rien, car tout n’est que papier. »… etc. — Et, pour donner raison à ces plaintes, qu’il enregistre, Bursy lui-même avoue qu’à sa dernière visite, il lui a volé sa plume, pendant que Beethoven lui tournait le dos !

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