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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/56

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BEETHOVEN

Et son attachement à l’argent gagné n’a jamais fait tort à sa large libéralité. Que de grands concerts et « d’Académies » il a donnés (en 1813, 1814, 1815, 1825), exclusivement au bénéfice d’œuvres de bienfaisance : pour les soldats invalides, pour les veuves et les orphelins !

Voyons-le donc, comme il est, avec les rudes revers de ses rudes vertus : comme un solide bourgeois qui, en dépit de ses apparences désordonnées et du fougueux idéalisme qui flambe dans son cerveau, a de la vie une vision très réaliste, est de très bonne heure habitué à lutter avec les nécessités, et qui poursuit ce corps-à-corps jusqu’à sa mort, — qui arrache au sort la nourriture, l’indépendance, — le capital[1] — dont il a besoin, et qui s’entend à le conserver et à le faire valoir. Mais il saura aussi en faire profiter, dans la détresse, la communauté : car il est le plus fort, il est l’aîné, et il se reconnaît ou il s’arroge, sur les plus faibles, des devoirs de protection. Ce n’est pas seulement de son neveu qu’il est le tuteur. Il l’est, des pauvres et des malheureux. Cet homme, dur à soi et à ceux qui l’approchent, a le haut sens des responsabilités sociales[2]. Il restera, toute sa vie, celui qui, jeune, écrivait à son ami Wegeler son rêve que son art pût se consacrer seulement au bien des pauvres — « dann soll sich meine Kunst nur zum Besten der Armen zeigen… ».

Excusons donc son âpreté à gagner et à garder ! La vie,

  1. « Du musst ein Kapital haben » (Tu dois avoir un capital). (Cahier de notes, 1816, manuscrit Fischhoff).
  2. Autre trait de ressemblance avec Michel-Ange.