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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/58

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BEETHOVEN

médiocres (sauf exceptions), payait ce dédain de la plus complète indifférence. L’indifférence était sensible à Beethoven, qui s’aigrissait. Il ne pouvait compter sur aucun appui sûr et durable. En dehors de son impérial élève, l’archiduc Rodolphe, dont la personnalité est bien falotte, il était livré aux caprices de la sympathie inattentive et fugace de la haute société. On ne trouve jamais sur la liste des souscriptions à ses œuvres et à ses concerts un membre de la famille impériale, à la seule exception de l’archiduc Rodolphe. Dans ces conditions, l’amertume s’amassait dans son cœur contre « la canaille princière » (« Fürstliche Gesindel »)… « Quelque chose de plus petit que nos grands il ny a pas. » (« Etwas kleineres als unsere Grössen gibt’s nicht. » 1810). — Dans une lettre fameuse à une enfant, la petite Emilie, où il « ne reconnaît pour l’homme d’autres privilèges que celui de la honte : là où je la trouve, dit-il, est ma patrie, mon foyer… », il déclare bien qu’il irait plus volontiers vers cette enfant, vers les simples, vers les humbles, « que chez ces riches qui portent en leur âme leur pauvreté. » (« indem sich die Armuth des Innern verräth… » ) — Mais en fait, il a peu de rapports avec ces simples, avec ces humbles ; il vit en dehors, tandis qu’il est forcé de ménager ces riches et ces grands qu’il méprise.

Pour se rendre compte du fond de sa pensée sociale, il faut la chercher dans ses « Cahiers de conversations ». Et j’en parlerai dans un chapitre en appendice à ce volume. On y verra l’extrême audace de pensée et de parole du petit cercle de Beethoven. Cette mentalité de révolté n’était pas ignorée de la police impériale, qui surveillait Beethoven ;