et, quand il pouvait le faire avec sûreté, qu’il maudît le destin qui le liait à lui ! [1]… Je ne m’étonne pas, mais je m’attriste. Je pense au plus grand poète de la Russie, au Goethe slave, Pouchkine, quand il sortait — (c’était à peu près au même temps) — de chez son impérial protecteur et geôlier, le tsar Nicolas. Un courtisan, qui l’enviait, lui demandait : — « Que sentiez-vous, en sa présence ? ». Et Pouchkine répondait : — « De la bassesse, dans toutes mes veines ! » [2]… Imaginons ce qu’un Beethoven a pu sentir, et la rancune avec la honte qui devaient lui brûler les veines ! C’est la condamnation, non du génie, mais de l’état social qui oblige les plus libres esprits à ces mensonges humiliants[3].
- ↑ « Par une malheureuse liaison (Verbindung) avec cet archiduc, je
suis presque réduit à la mendicité » (à Ries, 5 mars 1818).
« Le malheur de ma situation vient de mon trop grand abandon (Hingebung)… au faible cardinal qui m’a engagé dans un bourbier, et qui n’est pas capable de s’aider soi-même » (28 novembre 1820, au sénateur Franz Brentano).
« J’en veux au cardinal l… Quand on a affaire à ces grandissimes Monsieurs (« dem grôssten grossen Herrn »), le diable sait où, dans leurs mains, on peut tomber ! » (à Ries, 1823).
Et en quels termes de forfanterie jacobine il s’exprime sur le compte de son impérial élève, dans ses entretiens avec Fanny del Rio ! (Cf. Albert Leitzmann : Beethoven, p. 173). Il se vante, d’ailleurs, très certainement !
- ↑ Raconté par Tolstoï et noté par le Dr Makovitsky, dans son Journal, à la date du 21 février 1906.
- ↑ Le plus pitoyable est que ces mensonges finissent toujours par laisser dans l’âme un pli. Seul avec soi, monologuant dans son cahier de notes, Beethoven ne dit pas : « L’archiduc », ou : « Rodolphe », il dit : « Son Altesse Impériale » (Seine K. H.). Il courbe l’échine, machinalement, devant son mur, comme le malheureux Hœlderlin.