Aller au contenu

Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
56
BEETHOVEN

Encore le lot de Beethoven était-il léger, comparé à celui de tant d’antres « protégés ». Le « protecteur » était peu gênant, n’abusait pas trop, — sauf en ce qui touchait sa manie de collectionneur, qui accaparait les manuscrits de Beethoven, avec les dédicaces[1]. Rien ne dit, d’ailleurs, qu’il ne sentît lui-même la gêne de la domesticité à laquelle, nolens volens, il ravalait le souverain artiste dont, plus que quiconque, il connaissait la supériorité. Ils auraient pu sympathiser par leur mauvaise santé, qui les enfermait souvent, chacun chez soi, alités. Mais la disgrâce du rang les séparait, jusque dans la maladie et dans la mort[2]. Et chacun gardait pour soi sa mélancolie et sa rancœur[3].

Tout cela se comprend, et on les plaint. — On comprend moins et on est moins disposé à excuser, chez Beethoven, que l’orgueil blessé, qui enrage de dépendre des grands, se revenge, non contre les grands, mais contre les petits.

  1. La jalousie de l’archiduc ne supportait pas qu’un autre que lui bénéficiât de la dédicace d’une grande œuvre. Que ne s’est-il pas fait dédier ! Les deux concertos pour clavier op. 58 et op. 73, la sonate des Adieux op. 81 a et les grandes sonates op. 106 et op. 111, la sonate pour violon op. 96, le trio op. 97, la Missa Solemnis, etc…
  2. Il est pénible de ne point voir le nom de l’archiduc, pendant les derniers mois de la lente agonie de Beethoven — sinon sur la quittance de pension, que Beethoven signe, d’une main mourante, à la fin de février 1827, « car il a besoin d’argent » (weil ich es brauche). Et la participation de l’archiduc ne se manifeste point aux obsèques.
  3. Dans des moments d’humeur, le prince fermait sa porte à Becthoven (notamment en 1821, où l’on voit Beethoven qui s’en inquiète). Et Beethoven déversait ses griefs dans le sein d’un correspondant, de préférence lointain, car il y avait moins de risques qu’ils fussent répétés,