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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/68

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BEETHOVEN

tère Moral », de cet orgueil, de cette dureté, de ce mépris, et des petitesses qui sont les vis et les écrous de la carapace.

Mais l’essentiel était qu’il ne se mentît pas à lui-même, qu’il se jugeât. — Il ne se mentait pas. Il se jugeait, lucidement, avec la plus douloureuse humilité. Il souffrait de ce qu’il faisait et de ce qu’il était. Lorsqu’il n’était plus en face des hommes, dans le débat et le combat, où le reprenaient l’orgueil et la colère[1], les deux démons de sa nature, — lorsqu’il était (et il était, le plus souvent) seul en face de lui-même et de ce Dieu qu’il s’était créé pour partenaire, qui l’escortait comme son ombre, — qui était son ombre grandissante, aux feux du soleil tombant, — il ne songeait plus à pavoiser son « moralischer Carakter » !… Il ne voyait plus que sa misère. Il s’humiliait. Il s’inclinait…

1. Le « colérique » est un des éléments fondamentaux de son tempérament. Sur son lit de mort, Schindler, discutant avec lui des diverses expressions psychologiques de sa musique, admet que celle-ci puisse peindre, comme dans la sonate op. 81 a, l’absence et la joie du retour. Mais la colère, ou la vengeance, non pas ! (Zorn aber u. Rache — nicht recht musikalisch.) — Le malade, au seuil de l’agonie (on est au 5 février 1827), proteste énergiquement et s’agite. Schindler s’efforce de le calmer. — « Bon ! Vous composerez donc tout prochainement une sonate colérique ! » (Bon ! Sie componiercn also ndchstens eine zornige Sonate !) — Beethoven manifeste sans doute qu’il n’aura aucun effort à faire pour cela ! Car Schindler, comme une garde avec un enfant malade, s’évertue à l’apaiser : — « Cela, je le crois, que vous serez prêt, et je m’en réjouis. La vieille (la logeuse) fera aussi du sien, pour vous mettre souvent en colère… » (Nouvelles interjections et soubresauts de Beethoven dans son lit !) — « Mais, ami ! À cela nous mettons maintenant le holà, il s’agit d’écarter maintenant de telles excitations… » (Ein Konversationsheft Beethovens aus dem Jahre 1827, publ. Walther Nohl).

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