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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/72

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BEETHOVEN

(Tu es l’image de l’Éternel).

Pauvre image ! Et pauvre miroir de l’art, qui tâche à la refléter ! Oui, l’art a sa fierté indomptable. Beethoven écrit, au début de 1820 :

« — Le monde est un roi qui, pour accorder ses faveurs, veut être flatté. Mais l’art vrai est fier, il ne se laisse pas contraindre dans des formes de flatterie[1]. »

Mais un peu plus loin, le sage Beethoven écrit ces paroles profondes et désabusées :

— « On dit que Vart est lotig, courte est la vie. — C’est seulement la vie qui est longue, l’art est court. Car si son souffle est capable de nous élever jusqu’aux dieux, il n’est que la faveur d’un instant. »

(Man sagt, die Kunst sei lang, kurz das Leben. — Lang ist das Leben nur, kurz die Kunst. Soll uns ihr Hauch zu den Göttern heben — so ist er eines Augenblickes Gunst !)

Que reste-t-il donc, si l’art lui-même n’est pas sûr, s’il vous abandonne ? — Se soumettre aux capriees du sort aveugle et despote, qui vous retire, l’instant d’après, la faveur qu’il vous a faite, l’instant d’avant ? — Un grand lutteur comme Beethoven, un révolté, n’y consentira jamais ; jamais il ne se résignera à en accepter même l’idée. Non ! Il lui faut imaginer, pour vivre, il lui faut croire qu’une

  1. Cahiers de conversations, mars 1820, (p. 397 de l’édition Walther Nohl). Et il ajoute, à l’adresse de ses confrères, — qui sait ? peut-être ne s’excepte-t-il pas !

    « — De célèbres artistes y sont toujours pris : c’est pourquoi leurs premières œuvres sont les meilleures, bien qu’elles soient sorties du sombre sein (de l’inconscient). »