Aller au contenu

Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
BEETHOVEN

« le sanctuaire de l’art[1] ». La vie l’a repris et asservi ; elle l’a rattaché à la roue des jours, plus étroitement que par la passion elle n’avait fait, — par le lien du devoir en apparence le plus sacré, par l’illusion de la paternité.

Le 15 novembre 1815, meurt son frère Karl. Le 22 novembre, Beethoven est institué subrogé-tuteur. Et sur-le-champ, l’homme à qui l’amour, le mariage, la famille sont refusés, se jette, avide, sur l’enfant qui lui est confié, il le veut à lui tout entier ; et, contre le vœu même de son frère mourant, il engage, dès le 28 novembre, un long, un laid, un cruel combat judiciaire de plusieurs années, pour arracher l’enfant à la mère, qu’il s’acharne à faire exclure de la tutelle, comme indigne. Et qu’elle le soit, c’est trop certain[2] ; mais, comme le reconnaîtra Beethoven lui-même, dans un de ses trop rares éclairs d’humanité en cette affaire, « une mère, même indigne, n’en reste pas moins une mère ». En ces premiers temps de sa tutelle, il ne le reconnaît pas ; il est sans égards, sans pitié[3]. Le 2 février 1816, il a judiciairement enlevé l’enfant à la mère. Il en est seul maître, comme il voulait… Ah ! c’est l’enfant qui, désormais, est maître de lui !… « Tout ce qui s’appelle la vie » (Alles,

  1. « Alles, was Leben heisst, sei der Erhabenen geopfert und ein Heiligtum der Kunst ! » (1815).
  2. Du vivant de son mari, condamnée en 1811 à un mois de prison, pour infidélité, elle se montrait, dans ses lettres et ses propos, dévergondée ; et pendant le procès même qu’elle intenta à Beethoven, en 1818, elle se fit faire un enfant.
  3. Il sentira tardivement ses torts, à l’égard de la mère ; et, avec la sincérité profonde de sa nature, son cœur saignera du mal qu’il aura fait à « la veuve ». (Voir plus haut, p. 58).