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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/96

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BEETHOVEN

pourras accomplir la grande œuvre pour ton pauvre neveu[1] ».

— « Tout-Puissant, tu vois dans mon cœur, tu sais que j’ai sacrifié tout mon meilleur pour mon bien-aimé Karl[2] ».

Sacrifier tout, « sein eigenes Bestes », c’est trop, c’est inhumain, c’est disproportionné avec ce gamin ! On a beau réussir à s’illusionner sur cet enfant, qui ne manque pas de charme, qui ne manque pas de dons, qui a de beaux yeux, un esprit vif, une physionomie éveillée, cet enjôleur, ce petit rusé, aux manières douces et caressantes…[3]. Ce

  1. Ibid.
  2. « Nun du, Allmächtiger, siehst in mein Herz, weisst, dass ich mein eigenes Bestes um meines teuren Karl willen zurückgesetzt habe… » (Mss. Fischhoff, 1818).
  3. Il est souvent question du petit, dans les Cahiers de conversations de 1819-1820, publiés par Walther Nohl. Il a alors treize à quatorze ans. Les amis de Beethoven lui font des compliments de celui qu’ils appellent, en plaisantant, son « jungen Fleisch und Blut » (sa jeune chair et son sang). Le plus flatteur, Peters, dit qu’il a bonne apparence, de beaux yeux, du charme (Anmuth), une physionomie parlante, une bonne tenue (novembre 1819) ; il vante même sa magnifique nature » (« eine wahrhaft herrliche Natur… », février 1820). Le pédagogue Blôchlinger le reconnaît « bien doué en latin et en grec ». (« Il pourrait, dans trois mois, lire Homère », février 1820). Karl Czerny, qui a commencé en 1816 son instruction musicale, lui fait jouer devant son oncle la Sonate Pathétique (mars 1820).

    Les Giannatasio, qui l’observent de plus près, sont plus clairvoyants. Dès les premiers mois qu’il est chez eux, le 3 avril 1816, Fanny note que Beethoven a écrit à l’enfant une très belle lettre, mais sur un ton de confiance que le petit ne sait pas apprécier, et dont il peut être porté à abuser, avec « son pas trop grand amour pour la vérité » (seiner nicht zu grossen Liebe zur Wahrheit). — Le 16 août 1816, elle prévoit que « le sentiment trop vif de Beethoven pour cet enfant très léger (sehr leichtsinnigen) ne sera pas capable de le tenir avec la sévérité nécessaire et que les conséquences en seront pénibles ».