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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/128

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BEETHOVEN

distrait, écrit le jeune importun, je vis qu’il vivait dans son monde des sons et qu’il me donnait à comprendre que je ne lui dérobasse pas davantage de son temps précieux ».

Ce sont les jours où il était pris par le corps-à-corps du dernier morceau du quatuor. Dur combat, serré, précis, sans relâche. L’homme qui était capable de le mener sans faiblir, devait être déjà redevenu bien fort ; et la conscience de ce retour des grandes eaux dut l’exalter, faire jaillir du sombre tourbdlon inquiet la joie débordante du courant final en la majeur. Puis, le scherzo (allegro ma non tanto) du deuxième morceau dut suivre, et je vois se clore le quatuor sur la ronde enivrée du trio, dans le scintillement frissonnant d’une belle nuit d’août et les cris d’extase du promeneur solitaire. (Il avait repris ses courses dans la campagne).

Le 2 septembre, (le quatuor venait d’être achevé, Beethoven était heureux et allégé), de Vienne à Baden, quelques amis vinrent le voir : son éditeur Tobias Haslinger, le Konzertmeister danois Kuhlau, Holz, Seyfried, deux ou trois autres. Seyfried raconte : il les entraîna dans la campagne, il s’amusa à les éreinter, il était d’une humeur endiablée, il marchait devant, infatigable ; il ne leur fit grâce d’aucun de ses sites favoris, et sans égards aux pieds sensibles des citadins, il prenait un malin plaisir à les faire passer par les sentiers les plus rocailleux, il les hissa, suants et essoufflés, au sommet d’une des collines que couronnait uneruineroman

    d’église, où se manifeste en si haut détachement de soi, car il y condamne tacitement ses propres Messes, y opposant l’idéal supérieur de Palestrina. Il refuse même de se laisser entraîner par Freudenberg à rabaisser le rival, qui lui a pris le cœur de Vienne, Rossini : il en parle avec réserve et dignité, rendant hommage à son génie mélodieux.