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LES DERNIERS QUATUORS

Et le pinceau qui le décrit est d’une grâce et d’une perfection inimitables. On peut voir là combien s’étaient assouplie la main et affinée l’oreille du vieux sourd. Joseph de Marliave, qui a été particulièrement sensible à la beauté de cet andante, fait remarquer que « ces quelques mesures sont d’une nouveauté d’écriture polyphonique sans exemple avant l’époque contemporaine. » L’observation vaut pour le morceau tout entier. Jamais Beethoven n’a disposé de moyens d’expression plus riches et plus fins ; et l’on sent qu’il en jouit[1].

À la Reprise, le joyeux entretien, en marchant, recommence, sur un accompagnement, dont l’entrain est encore plus marqué. Et revient (mes. 61) le cantabile, avec des touches nouvelles, d’une délicatesse enchanteresse ; on voudrait lui dire : « Arrête-toi ! Ne passe point si vite !… » — Mais cette fois, la tendre phrase ne poursuit pas, reste posée sur un long

  1. Dans aucune autre de ses compositions, il n’a mis en œuvre à ce degré toutes les ressources les plus fines, les plus neuves de son génie, les curiosités d’écriture les plus modernistes. Il n’en est pas de plus subtile, de plus complexe et qui ouvre des chemins aussi nouveaux. On la dirait écrite par un des maîtres contemporains. Richard Strauss s’en est pénétré, on en retrouve l’imprégnance dans ses opéras, de l’humour le plus original (Ariane à Naxos).

    Quand on reconnaît cet étonnant travail, que Beethoven réalisait en silence l’année d’avant la mort, on ressent davantage l’immense perte que fut pour l’art cette mort prématurée : car Beethoven était en pleine conquête de moyens nouveaux ; et ces acquisitions qu’il essayait dans sa musique de chambre, il les eût ensuite reportées dans sa musique d’orchestre et de chœurs, en leur donnant une ampleur de développement imprévisible. — La musique symphonique du xixe siècle a piétiné sur les traces de Beethoven, sans avancer sensiblement. Le Wagnérisme l’a engagée sur une voie étrangère, où elle a remporté des victoires éclatantes. Mais sa voie propre n’a pas été poursuivie, ni beaucoup enrichie, jusqu’à l’aube, encore indécise, de la nouvelle ère harmonique, an xxe siècle.