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BEETHOVEN

Wehmut dont il gardait le secret, même aux jours où ses amis le voyaient joyeux et libéré de tout ce monde de passions et de soucis qu’il avait laissés derrière lui sur sa route.


La variété des « Stimmungen », qui commandent ces cinq morceaux de quatuor, que nous venons d’analyser, frappe


    grand Opéra, nous l’appliquons à un air théâtral. Nous nous trompons. Beethoven a piis le mot dans son vrai sens : la Cavatine, à sa source, était la partie (finale, à l’ordinaire) du récitatif, qui, en arioso lyrique, s’achemine vers l’air bien caractérisé. Même dans l’opéra, elle était tenue de garder plus de simplicité que l’air, elle n’avait qu’un mouvement, et évitait les répétitions de texte et les vocalises. Bien plus courte que l’air, elle avait souvent un texte plus long. Son nom dérivait de « Cavare » « creuser », « graver », et de « Cavata », qui était la terminaison et le résumé gravé, sous forme de sentence, d’un récitatif.

    Le choix très réfléchi qu’en a fait Beethoven définit, mieux que toute analyse, le caractère de cette page. Elle est la floraison mélodieuse d’un récitatif, — une marche frontière, entre le récité et le chanté ; — et de plus, l’expression y est résumée et concentrée. Dans son effort constant pour créer en musique pure un style * parlant » sans paroles, la Cavatine (et celle-ci en particulier) est la plus parfaite réussite : car elle ne sacrifie rien de la pure musique, en l’enrichissant du domaine de l’émotion dramatique.

    La caractéristique musicale d’un tel morceau est à la fois son ramassé et sa continuité ininterrompue (en dehors des dix mesures beklemmt). Les quatre parties instrumentales s’emboîtent exactement, les membres de la mélodie sont étroitement articulés, la méthode semble « infinie » ; elle a repris son souffle, avant d’avoir fini de respirer. Elle est extrêmement concentrée. — La musique moderne s’en est, plus d’une fois, inspirée. (Richard Strauss, dans son Ariane à Naxos, l’a presque copiée).

    Il est intéressant de comparer la plainte « Beklemmt » à celle de l’arioso dolente dans la sonate op. 110. Dans celle-ci, les gémissements vont jusqu’aux cris, et la souffrance accuse le plus grand désordre dans l’esprit, qui n’obéit plus à la volonté et est sur le point de succomber. Dans la Cavatine de l’op. 130, ce sont les palpitations sempre pp. d’un cœur oppressé, une respiration entrecoupée, qui ravale ses larmes. L’unique cresc. d’une mesure, à la fin de l’épisode, se brise aussitôt dans la reli-