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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/67

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LES DERNIERS QUATUORS

pour le mariage. La catastrophe le précipita « des régions de la joie » au fond de la douleur[1]. Le pathétique de ses accents est bouleversant. Il est comme Samson, quand la lumière s’est éteinte, le volet se referme sur sa nuit. C’est une douleur aussi cruelle que celle des jours du Testament d’Heiligenstadt. Mais il résiste mieux, il est plus mûr, il est plus fort, il a pris conscience de son immense royaume intérieur. Royaume de songe, hélas ! Il n’en est point dupe. — Mais tout est songe. « L’homme, a dit Pindare, est le rêve d’une ombre ». C’est une pensée qu’il a pu lire dans son Shakespeare, — dans ce Macbeth, qu’il avait commencé de mettre en musique[2].

En ces mêmes jours de la mi-mai 1810, la jeune Bettine Brentano, venant le voir à l’improviste, le surprenait au piano. Et il lui chantait, de sa voix rauque et passionnée, l’immortel lied : « Wonne der Wehmut » (« Bonheur des larmes ») : « Trocknet nicht Thränen der ewigen Liebe » (« Ne séchez pas, larmes de l’immortel amour ! ») Mais il ajoutait : — « Ha ! ha ! les artistes sont de feu, ils ne pleurent pas ! »

En ces mêmes jours, il jetait l’esquisse de son Quatuor en

  1. Lettre à Gleichenstein, qu’il avait chargé de la démarche auprès de la famille (mi-mai) :

    — « Ta nouvelle m’a précipité des régions du bonheur, de nouveau, dans les profondeurs… Donc, je dois de nouveau chercher mon point d’appui en mon sein, au dehors, il n’en est donc aucun pour moi ! Non. rien que blessures ont pour moi l’amitié et les sentiments du cœur. — Qu’il en soit donc ainsi ! Pauvre Beethoven ! Pour toi, il n’est aucun bonheur du dehors. Tu dois te le créer, de toutes pièces, en toi. Dans le monde idéal seulement, tu trouveras des amis. »

  2. Feuille d’esquisse, du milieu de 1808.