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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/68

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BEETHOVEN

fa mineur, op. 95. Et il écrivit les quatre morceaux, l’un après l’autre[1].

Il n’y a aucun doute que le quatuor ne soit le témoin le plus véridique de la crise. Car il est dédié à l’ami fidèle, qu’il avait fait le confident de ses espoirs et de sa peine, Zmeskall ; et Beethoven y a ajouté cette suscription, unique parmi ses quatuors :

— « Quartett serioso. »

Non, ce n’est pas un jeu !… Dans les billets à Zmeskall, d’avril 1810, quelques jours avant que ses espérances fussent brisées, il comparait sa situation à celle « d’Hercule chez Omphale » ; et il ajoutait : — « Non, ne m’appelez plus grand homme !… Jamais je n’ai senti, comme aujourd’hui, la force ou la faiblesse de la nature humaine. »

C’est la tragédie de cette force et de cette faiblesse (« ou de cette faiblesse ») qui, passionnément, s’exprime en ce quatuor, — le plus dramatique (ce n’est pas assez dire !) le drame le plus serré, le plus bandé, le plus concentré qu’il ait écrit. On a évoqué le nom de Gluck, à son sujet. Jamais Beethoven n’a montré dans l’expression dramatique une telle sobriété unie à une pareille tension, surtout dans le premier allegro. Il est d’airain. En 150 mesures ramassées, d’où tout détail secondaire est éliminé, le développement même (la « Durchfülirung ») réduite au minimum, rien que l’essentiel, le furieux dessin du début, à l’unisson,

  1. Cf. Zweite Beethoveniana, p. 278 et suiv. L’autographe complet porte la date d’achèvement : « 1810, im Monath Oktober » ; mais les esquisses suivent immédiatement celles de la musique d’Egmont, exécutée pour la première fois, le 24 mai 1810. La première édition ne parut qu’en décembre 1816.