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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/84

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BEETHOVEN

respirer, satisfait et fier de la tâche accomplie. Il contemplait les horizons parcourus. Il en jouissait, en compagnie « de ses amis qui ne changent point, les verts bocages, les arbres élancés, les fraîches retraites où bruissent les ruisseaux…, les ceps de vignes, qui des collines tendent leurs grappes au soleilOui, mon ami ! Là, il ny a ni jalousie, ni fourberie… Ici, entouré de tous ces êtres, je m’assieds souvent pendant des heures, et mes sens se baignent dans le spectacle de cette création continue de la nature. Ici, la majesté du soleil ne m’est pas cachée par un sale toit, fabriqué par les hommes. Ici, le ciel bleu est mon toit. Le soir, quand je contemple avec stupeur l’armée des corps lumineux, au on nomme soleils ou terres, éternellement gravitants dans leur orbite, mon esprit s’élance au-delà de ces étoiles éloignées de tant de milliers de milles, jusquà la source première d’où tout ce qui fut créé ruisselle et d’où ruisselleront éternellement de nouvelles créationsLorsqu’ensuite je cherche, par intermittences, à donner une forme musicale à mes sentiments exaltés, — ah ! je me trouve terriblement déçu : je jette à terre, plein de dépit, ma feuille barbouillée, et je me sens fermement convaincu que pas un fils de la terre n’est en état de représenter par les sons, les mots, la couleur ou le ciseau, les tableaux célestes qui ont flotté devant son imagination exaltée, dans une heure de félicité… »

« … Il se leva brusquement de son siège, et leva les yeux vers le soleil :

— « Oui, d’en haut vient certainement ce qui doit toucher le cœur ; autrement, ce ne sont que des notes, — des corps sans âme… Et qu’est-ce qu’un corps sans âme ? De l’ordure, ou de la terre… L’esprit doit s’élever de la terre, où pour un certain temps, l’étincelle de Dieu a été bannie, et, semblable au champ de labour, auquel le paysan confie la précieuse semence, il doit