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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/86

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BEETHOVEN

Beethoven concevait le premier de ses derniers quatuors — le plus parfait peut-être — et, à coup sûr, le plus serein : — les derniers jours de plein bonheur, l’apaisement enivré dans la nature, les colloques d’amour et d’extase avec la terre, l’air et l’eau, le doux murmure des ruisseaux, sous le dais du ciel bleu tendu entre les hautes branches des vieux arbres. Et par delà, l’étreinte avec Dieu. Toutes les puissances de l’âme les plus pures, la joie, la foi, l’héroïsme, la dilectio (faute du mot d’  « amour », trop compromis par le désir, je reprends le mot immaculé et exalté de l’Évangile), refleurissent dans le premier morceau. Nous retrouvons de vieilles connaissances ; mais l’âge, le recueillement et la prière, les ont lavées de leurs âpretés, de leurs impuretés. Il nous arrive des effluves de tous les lointains de la création : de l’Eroica, du Roi Stephan, de la Neuvième, et de la Messe. Les quatre vents de la pensée confluent ici, dans la paix des calmes horizons… «  Ueber allen Gipfeln — ist Ruh… »

L’œuvre s’ouvre par un portique majestueux, comme d’un temple, dont les colonnes évoquent celles de l’Eroica. Le feu voilé de celle-ci court (on ne l’a guère remarqué) dans les veines de tout l’allegro : (même tonalité, même rythme, même triade mélodique, avec ses puissantes enjambées, ses contre-temps de la basse, et quelques-unes de ses progressions et modulations caractéristiques). Mais ce que nous devons bien établir, d’abord, c’est que le portique fait corps avec le temple ; il n’en est pas une introduction détachée ; il pose les premières touches de la ligne mélodique, que je nomme proprement héroïque[1] :

  1. Richard Strauss s’en est souvenu, dans son Heldenleben.