Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/138

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Gros meunier, ras et roux, hure ronde, Jean Gifflard, joues enflées, petits yeux enfoncés, il avait l’air toujours d’emboucher la trompette.

— Que voilà deux beaux coqs ! dit-il en s’esclaffant. Ils seront bien avancés quand, pour cette geline, ils se seront mangé la crête et les rognons ! Niquedouilles ! Ne voyez-vous donc pas qu’elle se rengorge d’aise, quand vous vous chantez pouilles ? Il est plaisant, parbleu, pour une de ces femelles, de traîner à ses cottes une harde amoureuse qui brame après sa peau… Voulez-vous un bon conseil ? Je vous le donne pour rien. Faites la paix entre vous, moquez-vous d’elle, enfants, elle se moque de vous. Tournez-lui les talons et partez, tous les deux. Elle sera bien marrie. Faudra bon gré maugré qu’elle fasse enfin son choix, et nous verrons alors qui des deux elle veut. Allons, ouste, filez ! Point de retard ! Tranchons le vif ! Courage ! Suivez-moi, gens de bien ! Tandis que traînerez vos savates poudreuses sur les routes de France, moi, je reste, compagnons, je reste pour vous servir : faut s’aider entre frères ! J’épierai la donzelle, je vous tiendrai au courant de ses lamentations. Dès qu’elle aura choisi, je préviendrai le gagnant ; l’autre ira se faire pendre… Et là-dessus, allons boire ! Boire et boire noie la soif, l’amour et la mémoire…

Nous les noyâmes si bien (nous bûmes comme des bottes) que, le soir de ce jour, au sortir du bouchon, nous fîmes notre paquet, nous prîmes notre bâton ; et nous voilà partis, par une nuit sans lune, moi et l’autre niais, glorieux comme deux pets, et