Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/154

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Je te prends et je suis prise. Vigne, pousse, pousse et nous lie !

Nous descendîmes la colline. Près de rentrer, nous nous déprîmes. Depuis lors, plus ne nous prîmes. Ah ! rossignol, tu chantes toujours. Pour qui ton chant ? Vigne, tu pousses. Pour qui tes liens, amour ?…

Et la nuit était là. Et le nez vers le ciel, je regardais, appuyé des fesses sur les mains, des mains sur mon bâton, comme un pic sur sa queue ; je regardais toujours vers le faîte de l’arbre, où fleurissait la lune. J’essayai de m’arracher au charme qui me tenait. Je ne pus. Sans doute l’arbre me liait de son ombre magique, qui fait perdre la route et le désir de la trouver. Une fois, deux fois, trois fois, je fis le tour, je le refis ; à chaque fois, je me revis, au même point, enchaîné.

Lors, j’en pris mon parti, et m’étendant sur l’herbe, je logeai, cette nuit, à l’enseigne de la lune. Je ne dormis pas beaucoup dans cette hôtellerie. Mélancoliquement, je ruminais ma vie. Je pensais à ce qu’elle aurait pu être, à ce qu’elle avait été, à mes rêves écroulés. Dieu ! que de tristesses on trouve au fond de son passé, dans ces heures de la nuit où l’âme est affaiblie ! Qu’on se voit pauvre et nu, quand se lève devant la vieillesse déçue l’image de la jeunesse d’espérance vêtue !… Je récapitulais mes comptes et mes mécomptes, et les maigres richesses que j’ai dans mon escarcelle : ma femme qui n’est point belle, et bonne tout autant ; mes fils qui sont loin de moi, ne pensent rien comme moi, n’ont de moi