Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/202

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Il cessera de l’être, dit un mauvais plaisant.

Et un autre :

— Elle s’en va. Tu restes. À ta santé, Colas ! Un bonheur ne vient jamais seul.

Moi, pour faire comme les autres (jétais ému tout de même), je réplique :

— Trinquons ! Dieu aime l’homme, compères, quand il lui ôte sa femme, ne sachant plus qu’en faire.

Mais le vin me parut subitement piquette, je ne pus finir mon verre ; et, prenant mon bâton, je partis sans même saluer la compagnie. Ils criaient :

— Où vas-tu ? Quelle mouche te pique ?

J’étais bien loin déjà, je ne répondais pas, j’avais le cœur serré… Voyez-vous, on a beau de pas aimer sa vieille, s’être fait enrager l’un l’autre, jour et nuit, durant vingt-cinq années, à l’heure où la camarde est venue la chercher, celle qui, collée à vous dans le lit trop étroit, a mêlé si longtemps sa sueur à la vôtre, et qui dans ses flancs maigres fit lever la semence de la race que vous avez plantée, on sent là quelque chose qui vous étreint le gosier ; c’est comme si un morceau de vous s’en allait ; et quoi qu’il ne soit pas beau, qu’il vous ait bien gêné, on a pitié de lui, et de soi, on se plaint, on le plaint… Dieu me pardonne ! on l’aime…

J’arrivai, le lendemain, à la tombée de la nuit. Dès le premier coup d’œil, je vis que le grand sculpteur avait bien travaillé. Sous le rideau fripé de la chair craquelée, le visage de la mort, tragique, apparaissait. Mais ce qui me fut un signe plus certain de la fin, ce fut qu’en me voyant elle me dit :