Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/23

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Or çà, que je fasse un peu le compte de cet univers !

En premier lieu, je m’ai, — c’est le meilleur de l’affaire, — j’ai moi, Colas Breugnon, bon garçon, Bourguignon, rond de façons et du bedon, plus de la première jeunesse, cinquante ans bien sonnés, mais râblé, les dents saines, l’œil frais comme un gardon, et le poil qui tient dru au cuir, quoique grison. Je ne vous dirai pas que je ne l’aimerais mieux blond, ni que si vous m’offriez de revenir de vingt ans, ou de trente, en arrière, je ferais le dégoûté. Mais après tout, dix lustres, c’est une belle chose ! Moquez-vous, jouvenceaux. N’y arrive pas qui veut. Croyez que ce n’est rien d’avoir promené sa peau, sur les chemins de France, cinquante ans, par ce temps… Dieu ! qu’il en est tombé sur notre dos, m’amie, de soleil et de pluie ! Avons-nous été cuits, recuits et relavés ! Dans ce vieux sac tanné, avons-nous fait entrer des plaisirs et des peines, des malices, facéties, expériences et folies, de la paille et du foin, des figues et du raisin, des fruits verts, des fruits doux, des roses et des gratte-culs, des choses vues, et lues, et sues, et eues, vécues ! Tout cela, entassé dans notre carnassière, pêle-mêle ! Quel amusement de fouiller là-dedans !… Halte-là, mon Colas ! nous fouillerons demain. Si je commence aujourd’hui, je n’en ai pas fini… Pour le moment, dressons l’inventaire sommaire de toutes les marchandises dont je suis propriétaire.